Cher Jorge,
Il arrive que certains hommes vivent dans le bruit et la fureur, d’autres dans la lumière et les livres. Toi, tu as habité la lenteur des œuvres et l’épaisseur du silence, ce silence que seul un musée ou une bibliothèque sait offrir aux âmes passionnées. Il est difficile de rendre hommage à un être qui vous dépasse tant spirituellement qu’intellectuellement.
Tu es parti là-bas, là où l’on n’étiquette plus les tableaux, où les notices sont inutiles, là où Marcel Duchamp converse sûrement avec Borges, pendant que Calder fait tournoyer des mobiles invisibles au-dessus des songes. Tu es parti sans fracas, comme une dernière page que l’on tourne, doucement, avec révérence.
Ta vie aura été un musée ouvert : aux amis, aux idées, à la beauté. Tu as conversé avec les géants, mais aussi tendu la main à ceux que l’on ne regardait pas encore. Tu as vu avant les autres, comme tous ceux qui ne craignent pas d’ouvrir l’œil de l’intuition.
Ta collection était un carnet de voyage dans le XXe siècle, traversant les continents et les tragédies, du Paris de 1934 au Trouville de ton dernier souffle, en passant par Buenos Aires, Montevideo, New York…
Tu as fui la guerre, mais elle ne t’a pas empêché d’aimer. Tu as perdu des bibliothèques, mais tu en avais semé d’autres, entre San Telmo et Pittsburgh, entre la mémoire de Borges et les voix de la musique classique.
Tu as porté les arts comme d’autres portent leur prénom : avec naturel, avec fidélité. Tu n’étais pas qu’un collectionneur. Tu étais une archive vivante, un passeur d’éternité.
Alors aujourd’hui, je te dis merci. Merci pour les moments partagés, à refaire le monde. Merci pour toutes les anecdotes partagées. Merci pour ton altruisme et ton horreur de l’injustice qui t’ont fait t’engagés tant de fois pour de nobles causes. Je garderai pour toujours le souvenir de ta voix chaleureuse, de porteur d’histoire. Et enfin, Merci pour les 160 expositions, pour les mille vies d’objets que tu as rassemblés, pour les portes que tu avais ouvertes et pour celles que tu as franchies.
Jorge Helft, Tu n’es pas mort. Tu as simplement rejoint l’inventaire des merveilles.
Avec gratitude et admiration,
Un homme qui sait que l’art nous survit.
Merci.
Crédit image : Nacion