La démocratie dans son approche locale et participative est fondée sur un postulat simple, mais souvent oublié ou négligé : l’implication des citoyens doit être générale dans les différentes sphères de la vie publique. Il ne suffit pas, dans ce paradigme, de par exemple rendre démocratique le sommet de l’Etat pour que tout le reste le soit comme par enchantement.
C’est pourquoi l’un des angles d’action de la Ville de Paris en la matière est d’ouvrir aux citoyens les différents organismes, aux statuts les plus divers, de la sphère publique. En insistant particulièrement sur les « zones d’ombre », ces recoins où pour une raison ou pour une autre la démocratie est encore à bâtir.
A ce titre, on ne peut qu’être frappé par le discret article, aussitôt enfoui par une providentielle accumulation d’actualités jugées plus urgentes ou importantes, publié ce 6 novembre par Le Monde Télévisions. On serait tenté de reprendre Shakespeare, « l’œil ne se voit pas lui-même », ou d’autres dictons de même sens : selon le constat impitoyable du Monde, ce serait précisément ce qui permet la transparence et la vie démocratique qui en manquerait le plus.
Certes, notamment depuis quelques années, les publications sur les médias eux-mêmes ne manquent pas. Depuis les rubriques « médias » qui se sont répandues dans les journaux eux-mêmes, jusqu’aux critiques, parfois fort virulentes, de certains responsables publics. Entre maintien du status quo et volonté de tout chambouler, les prises de position se multiplient. Rarement suivies d’effet.
Car c’est au fond, hélas, un schéma bien connu que l’observation révèle. Comme la vie politique française qui est marquée par des spécificités d’un autre âge telles que le cumul des mandat et le phénomène multiforme de « baronnies » avec des hommes forts locaux, dont le pouvoir va parfois bien au-delà de leurs prérogatives régulières, comme peut-être, bien que le cas ait ses particularités, l’univers du sport professionnel, la vie médiatique connaît elle aussi cette étrange pyramide, avec une base très large, peuplée de précaires anonymes, nouveaux venus pour la plupart, petites mains discrètes au service des échelons supérieurs, et notamment du niveau le plus élevé, composé d’une poignée, une dizaine peut-être, de grands patrons, dont la permanence à travers le temps est l’un des signes distinctifs.
Bien entendu, inutile de promettre vainement : comme dans toute entreprise humaine, hiérarchies et crispations sont inévitables dans la sphère médiatique. Ceci étant, pour l’élu et l’observateur que je suis, la situation peut plus difficilement être tolérée en silence lorsqu’elle, outre son caractère archaïque, interfère directement avec un certain nombre de règles du jeu démocratique.
Ainsi, le débat politique est transféré en partie depuis les citoyens vers l’affrontement, hautement ritualisé et codifié, d’un petit nombre de lutteurs professionnels, choisis Dieu sait comment, et dont la légitimité, en dernière analyse, n’est autre que leur présence à des occurrences antérieures de l’exercice. Leurs noms sont connus de tous. A la manière de l’ancienne Commedia dell’arte, chacun s’est créé un masque distinctif, a un style d’action reconnaissable entre mille par le public, dont nul ne sait quelle est la part de jeu et quelle est la part de conviction. A l’instar de leurs prédécesseurs de l’âge classique, les lutteurs professionnels sont à peu près immortels : même chassés, ce qui est en soi fort rare, d’une tribune, ils reviennent dès le lendemain sur une autre. Ils jonglent entre les troupes de théâtre et les plus puissants, devenus également courtisans, en possèdent eux-mêmes plusieurs.
Mais ce qui était source d’amusement et qui reste encore un spectacle divertissant pour des citoyens fatigués de leurs longues journées peut-il tenir lieu de débat démocratique ? Comme jadis, les personnages, toujours les mêmes, finissent par lasser. Leurs jeux, malgré l’indéniable virtuosité de certains, deviennent stéréotypés. Le temps est peut-être venu de faire entrer le monde des médias dans l’âge de la démocratie. Car eux aussi font partie, pas tant de la sphère économique, ni du monde du spectacle, encore moins des combats de gladiateurs, mais de la chose publique par excellence.