L’action politique se subdivise dans notre pays en deux catégories. D’une part, les champs d’action qui importent, qui sont suivis tant bien que mal par les médias, et qui pèsent dans le choix des citoyens au moment de leurs votes. D’autre part, les domaines qui n’intéressent ni les médias, ni à vrai dire les décideurs suprêmes, et pour lesquels les citoyens, non informés de leur actualité voire même de leur existence, ne peuvent faire fonctionner les rouages essentiels de la démocratie.
Le périmètre des deux catégories est dans une certaine mesure fluctuant : l’économie, il y a une dizaine d’années encore au coeur de l’actualité, semble devenue une préoccupation secondaire, faisant à peine l’objet de quelques brèves, accueillies avec un fort sentiment de résignation par des lecteurs qui ont hâte de passer à autre chose. Maintes questions de société restent, elles, indéfiniment dans les oubliettes de la vie publique, telles que le handicap.
Les événements de ces derniers jours ont, par un jeu d’ombres chinoises, indirectement désigné un autre domaine oublié : les Français vivant à l’étranger. Tantôt purement et simplement omis de l’actualité, tantôt traité par la simple critique de ceux qui vivent hors de nos frontières, tantôt regroupé sous l’ombrelle de la diplomatie de la France, un domaine réservé selon l’expression consacrée et donc particulièrement peu ouvert au processus d’élaboration démocratique des décisions, le sujet des Français à l’étranger souffre d’un tabou majeur. Alors même que d’autres pays en font un axe majeur d’action.
Les résultats de cette réduction du champ de vision sont hélas bien présents. Il y a quelques semaines, Mediapart publiait une enquête poussée et documentée sur le scandale de la Caisse des Français de l’étranger. Alors que la révélation d’un tel système en métropole aurait eu l’effet un petit séisme, elle n’a guère été relayée dans la presse. Et le maître des lieux, le sénateur Cantegrit, 78 ans, a pu savourer une paisible réélection. Ou encore, lorsque, dans peut-être l’un des derniers jeux de chaises musicales que le clan du chef de l’Etat pratique de manière de plus en plus calamiteuse, Chantal Jouanno, préférant le Sénat, a démissionné, certains ont à juste titre affirmé que le monde du sport était bafoué et réduit à un rôle de figuration. Que dire alors du fait que les Français de l’étranger soient désormais représentés par un certain Edouard Courtial, connu plus pour ses intrigues au sein de l’UMP de l’Oise que pour son expérience internationale ? Le pire est que, justement, ont n’ait rien. Il est vrai qu’après le bref passage de son prédécesseur David Douillet, on pouvait s’attendre à tout. Pourtant, le tabou de la présence de Français à l’étranger n’a pas lieu d’être. Au lieu d’y voir un non-sujet, il serait temps de mesurer l’apport économique et culturel pour notre pays. Se souvient-on que Derrida voire, dans une moindre mesure, Foucault, ont dû leur magistère à leur vie à l’étranger ?
Au-delà de ces cas particuliers, nous sommes en droit de nous interroger sur les résultats de l’ « oubli », volontaire ou non, de certains sujets par les médias. Le dépérissement de la démocratie que l’on constate alors ouvre la voie à toutes les manoeuvres, à tous les scandales silencieux. Ne serait-il pas temps d’envisager non seulement une démocratie participative des citoyens, mais également de grands médias directement gérés par les citoyens ? Peut-être que seulement ainsi les non-dits, mais également les crispations profondes qui les font naître, celles liées à la présence de l’étranger ou à l’étranger, à la différence, à l’échec personnel, seraient enfin levées.