Un article de Sabine Blanc sur le handicap dans l’entreprise

La leçon du psycho-drame des listes en PACA que personne ne tirera !

 

Je vous partage aujourd’hui un article de la journaliste Sabine Blanc et dans lequel elle revient sur les personnes handicapées dans l’entreprise et la politique.

Le monde des collaborateurs politiques reste largement fermé aux personnes en situation de handicap, souvent invisibles ou absentes. Les recrutements dans les cabinets reposent majoritairement sur le réseau et l’intuition, avec peu de procédures formelles ou d’obligations légales, ce qui freine l’inclusion. Plusieurs professionnels témoignent des obstacles, mais aussi des adaptations possibles et des qualités développées par les personnes handicapées. Au-delà des freins matériels ou psychologiques, c’est surtout le manque de culture inclusive et la peur des aménagements qui posent problème. Une meilleure formation, plus de confiance, et l’implication des partis politiques pourraient faire évoluer les pratiques.

« Le monde des collaborateurs encore fermé aux handicapés C’est une espèce très rare, pour ne pas dire quasi inexistante : les collaborateurs handicapés.  » Nous sommes très peu, ou j’ignorais leur situation. On a l’habitude de dire que 90% des handicaps ne se voient pas « , explique Moungi Es Sassi . Aujourd’hui reconverti dans le conseil, il fut directeur de cabinet de Pierrette Augier, maire du 9eme arrondissement de Lyon et collaborateur de Najat-Vallaud Belkacem de 2008 à 2011, alors adjointe au maire, toujours à Lyon. Quand on lui demande s’il connaît d’autres collaborateurs handicapés, il répond : « zéro ».  » J’ai vu des DGS, mais pas de collaborateurs en cabinet » , corrobore Dayana ChamounFievée, dirigeante du cabinet Diane Conseil .  » Il y a moins de garde-fous dans le recrutement en cabinet : il repose davantage sur le personae intuitiae et le réseau direct, avec moins de procédures – écrites notamment – à suivre.  » La règle des 6% de travailleurs handicapés ne s’applique pas non plus, cette protection étant de toute façon limitée car elle s’applique toutes catégories confondues. Pour Erwan Huchet, directeur général du cabinet Savoirs publics ,  » il n’y a jamais eu de réflexion sur ces question. Le monde politique est si difficile, l’intégration n’est pas quelque chose d’instantané dans la réflexion des recruteurs. Et le nombre de collaborateurs étant restreint en collectivité, cela diminue la capacité de l’élu à partager les postes en tenant compte de ces critères ». 

Pourtant, ces collaborateurs ont toute leur place. Obligé de se déplacer avec des béquilles à cause de séquelles de la poliomyélite, Moungi Es Sassi place son handicap au second plan, loin derrière d’autres considérations :  » Ce qui m’a le plus gêné, ce sont mes idées. J’étais bien intégré socialement, mon caractère est supérieur à mon handicap. Et ce que les gens voient, c’est le pouvoir que vous représentez.  » Avec des limites :  » Être directeur de cabinet, ce n’est pas possible pour tous les handicaps, comme la myopathie. À un moment donné, il faut être autonome physiquement et tenir psychologiquement. Les barrières viennent des deux côtés, mais il est vrai que c’est plus difficile quand on part avec un handicap. »  » Il avait une immense autonomie acquise car il vivait avec depuis l’enfance » se souvient Najat Vallaud-Belkacem. » Tout me paraissait extrêmement fluide. Il compensait d’une certaine façon par une agilité extrême sur un plan intellectuel et relationnel : il est très social, convaincant, habile, à l’écoute, capable de faire parler, c’est précieux dans un univers politique. « 

Directeur général de services, Zouhir Aghachoui avait jusqu’à présent fait le choix de masquer son handicap – il ne voit pas d’un œil -, par crainte de la stigmatisation.  » J’ai développé d’autres façons de travailler « , explique-t-il. Pour lui, la question des aménagements sert trop souvent de faux prétexte.  » On demande d’avoir une cervelle, s’il manque deux bras à la personne, on trouvera les moyens, il faut juste de l’investissement « , lance-t-il.  » Il y avait un élu à Paris aveugle, son handicap ne l’a pas empêché d’occuper les plus hautes fonctions. Il faut casser l’image d’un monde politique réservé aux supermen/women. »

L’élu en question, c’est Hamou Bouakkaz , qui fut adjoint socialiste au maire de Paris chargé de la vie associative de 2008 à 2014, sous Bertrand Delanoë.  » Il ne faut pas tomber dans le piège de faire des généralités, tous les handicaps ne sont pas les mêmes, juge celui qui est aujourd’hui DG de Lemon Adds, une agence spécialisée dans la diversité et l’inclusion au travail. «  Il faut distinguer les fausses barrières, comme ne pas pouvoir accéder à l’information ou se déplacer. Aujourd’hui, 80% du courrier arrive par mail, il est plus facile d’automatiser. Ce qui est encore difficile, c’est la synthèse de gros documents. Mais en contrepartie, vous avez une meilleure mémoire, vous faites plus facilement des liens.  » Lui-même a fait travailler un collaborateur autiste. Il insiste sur la nécessité pour l’élu de s’adapter aussi.  » Je me suis organisé pour qu’il soit au maximum à son aise' » détaillet-il.  » Il disposait d’un bureau pour lui, il avait de l’autonomie dans sa gestion, par exemple sur les horaires de travail. Tant que l’objectif est atteint, je me fiche que le mail arrive en décalé ! « .

« ll existe une crainte persistante des employeurs, qui font une montagne des aménagements alors que parfois c’est trois fois rien », renchérit Dayana ChamounFievée, pointant le « manque d’expérience et de formation ». Elle mentionne par exemple le fait « de proposer un bureau facilement accessible plutôt que celui initialement prévu. Il n’y a pas de nécessité de faire des aménagements, mais simplement de sortir du cadre de ce qui était prévu. » Elle déplore aussi  » les craintes qui relèvent du cliché « , appelant à « faire confiance » : « en recrutant une personne à mobilité réduite par exemple, on va s’imaginer la complexité du quotidien dans l’exercice des fonctions. Potentiellement, le nouveau collaborateur ou la nouvelle collaboratrice a développé des astuces pour contrer d’éventuelles contraintes ». En théorie, la loi de 2005 sur le handicap a posé les bases pour une meilleure intégration des personnes handicapées, en imposant notamment l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP). Mais le bilan est, pour l’heure, mitigé. Face à un recruteur qui a des préventions, le cabinet pourra faire tampon avec les candidats et gérer la question des aménagements qui pourrait les décourager. Les possibilités de travailler seront aussi plus nombreuses dans un gros cabinet. « Il est plus facile d’avoir la fonction d’écriture de discours que de gérer des personnes », observe Moungi Es Sassi, qui note que, de façon générale,  » dircab ou collaborateur. C’est beaucoup de téléphone.  » Erwan Huchet estime compatible d’être un collaborateur porteur de handicap :  » cela dépend du handicap et de la volonté de l’élu « , juge-t-il. Mais il s’interroge.  » Les membres de cabinet doivent-ils être à l’image de la représentation ? Le devoir d’exemplarité doit-il passer par les collaborateurs ? Est-ce que cela a du sens dans une petite collectivité ?  » Et de renvoyer la balle aux partis politiques :  » s’il y a de la différence dans les partis, il y en aura également dans les membres de cabinet, c’est à eux aussi de faire le travail « . 

Sabine Blanc – Journaliste spécialisée sur les politiques publiques et le numérique

 

 

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