Affaire Audin : que vienne l’heure de la vérité

Parce qu’il m’est donné l’occasion de fêter la générosité, la solidarité et l’entraide dans cet espace, j’exprime, moins que je le devrais mais bien plus que ceux qui ont pour profession de retisser nos liens, ma gratitude à tous ceux qui me rendent la vie si douce par les minutes gratuites qu’ils me donnent ! 

Il est temps de prendre le temps de remercier, plus profondément que par de brèves allusions, un homme qui a changé mon destin. Remontons le temps ensemble, si vous le voulez bien. 1984. J’entre en licence de mathématiques à Paris VI. Aucun livre ni support de cours ne m’était accessible. Les exercices à faire en travaux dirigés nous étaient distribués sur table. Un professeur avait construit une méthode originale et très moderne pour nous faire travailler. Il nous incitait à nous regrouper par affinités et à cogiter, à rédiger ensemble, venant de temps à autre ouvrir ou fermer quelques portes à nos intelligences en action.

Au bout de la deuxième séance, il comprit que j’étais très désavantagé par rapport à mes camarades, et que je risquais d’être mis hors jeu s’il ne trouvait pas une manière d’égaliser mes chances avec les leurs. Il me proposa alors de m’accueillir en cours particulier gratuitement, tous les samedis, afin de réaliser ces travaux dirigés dans des conditions optimales. Ce professeur adulé de ses élèves, universellement respecté pour son parcours exemplaire, s’est éteint l’an dernier. Sans avoir assisté à l’issue favorable du dernier combat public de sa vie. Il avait en effet résolu de faire éclater la vérité sur l’affaire Maurice Audin.

Maurice Audin, mathématicien algérien d’origine française, a vu son destin de grand professeur et de chercheur broyé par la guerre d’Algérie, et toutes ses atrocités. Des parachutistes français l’arrêtèrent le 11 juin 1957 à son domicile, l’assignèrent à résidence dans un lieu inconnu… Et nul ne sait précisément ce qu’il est devenu, son corps ayant disparu.  Sa thèse de mathématique fut soutenue in absentia en décembre 1957, et reçue avec la mention « très honorable ».  La version officielle veut que Maurice Audin se soit évadé, et fut pour cela abattu.

Gérard Tronel et les membres de l’association Maurice Audin ont remporté un dernière victoire : le président Hollande a choisi de ne plus retenir cette version officielle comme la vraie. Un faisceau d’indices nous laisse à penser que Maurice Audin fut tué sur ordre par des officiers supérieurs français après avoir été torturé, au mépris de toutes les conventions internationales. La relation franco-algérienne est ainsi jalonnée de cadavres dans les placards. Tant que tous ces placards ne seront pas vidés et nettoyés, nos deux peuples marcheront l’un vers l’autre avec les pieds entravés.

Bertrand Delanoë, novateur sur cette question comme sur beaucoup d’autres, a donné à Maurice Audin une place à son nom, à Paris, en 2004. J’avais, avec Pierre Mansat, porté un vœu au conseil de Paris réclamant la vérité sur cette affaire.

Le grand mathématicien Cédric Villani, aujourd’hui député, a récemment mis tout son poids dans l’aboutissement de cette juste cause, co-signant une tribune, et rendant publique la conviction que le président Emmanuel Macron lui avait confié en privé, selon laquelle Maurice Audin a bien été assassiné.  Cédric Villani préside le jury du prix Maurice Audin de mathématiques, créé par Gérard Tronel, qui fait le lien entre les jeunes espoirs des écoles mathématiques françaises et algériennes, leur permettant de se rencontrer pour échanger.

L’avenir est dans la multiplication de telles initiatives !

Il appartient au président Emmanuel Macron, et à son conseiller en discours et mémoires Sylvain Fort, de tout mettre en œuvre pour que le passé cesse de peser tel une chape de plomb sur cette relation stratégique pour la France comme pour l’Algérie.