Après moi le déluge, ou la stratégie du cynisme

Ce dimanche soir, où le corps des citoyens s’est prononcé une première fois, les émotions sont plus que jamais mêlées. A l’heure où rien n’est joué, où on peut avoir de bonnes raisons d’être optimiste, d’entrevoir déjà peut-être le début d’une ère nouvelle, un sombre pressentiment traverse l’esprit.

Les ultimes jours du mandat de Nicolas Sarkozy pourraient bien compter parmi les plus détestables d’un long, trop long quinquennat.  

Si le tableau du second tour est bien celui que l’on attendait, le score du Front National est un signe de très mauvais augure. Comme les commentaires, quelques minutes à peine après l’annonce des résultats, tant de la part des internautes que des responsables de droite l’indiquent, il n’y aura plus qu’un enjeu pour le président sortant : rafler les votes du Front National. Lui qui hésitait, fidèle seulement à son absence totale de stratégie et de vision à long terme, tiraillé entre ses courtisans et conseillers, entre tentatives de récupération des votes d’extrême-droite ou du centre, le voilà fixé.

Au cours des journées à venir, les citoyens de confession musulmane pourront s’attendre à d’imprévisibles rebondissements. A toutes sortes d’affaires de viandes, de voiles et autres coups de filet spectaculaires d’extrémistes. Les citoyens d’origine étrangère reverront sans doute à la télévision le visage du ministre de l’Intérieur avec son rictus des grands jours, multipliant les dérapages bruns et allusions fétides. Tout le monde sera à nouveau plongé dans la peur sécuritaire. Les faits divers monopoliseront à nouveau le débat public.

Des journées d’épreuve nous attendent. Mais hélas ce pourrait n’être qu’un début. Dans le cas de l’Italie, Berlusconi n’aura pas été qu’un désastreux chef de gouvernement. Il aura surtout laissé une empreinte durable : pendant longtemps encore, l’Italie devra se remettre de la déstructuration générale de la vie citoyenne, de la débâcle économique, des répercussions éthiques incalculables du règne bruni de celui que nul ne regrettera. La tactique de la terre brûlée pourrait malheureusement être lourde d’avenir dans notre pays également. Laisser croire à la droite que la victoire future éventuelle ne pourra être obtenue que par des connivences avec l’extrême-droite serait désastreux. 

L’effort de reconstruction qui s’annonce pour nous tous sera sans doute plus long et difficile que prévu. Lever les hypothèques mentales du sarkozysme, le culte du fort au détriment du faible, l’exclusion en tant que vertu cardinale et les réseaux occultes comme principe de pouvoir. Dans l’immédiat, nous devons plus que jamais tenir le cap. Et méditer sur le constat de Vigny : le véritable fort fait les événements, le faible subit ceux que la destinée lui impose.