Dans notre calendrier, nous connaissons les célébrations d’événements heureux et les commémorations de malheurs passés. Ces jours-ci, c’est plutôt notre amer présent qui se présente à nos yeux.
Il y a cinq ans, à peine un quinquennat, l’Abbé Pierre nous quittait. A l’époque, dans un exceptionnel temps d’unité nationale, toute la classe politique rivalisait d’éloges, tentant d’arracher un pan du manteau du vieil homme dont la silhouette avait accompagné pendant des décennies la vie de notre pays. Les plus spectaculaires et courageuses promesses ont été faites, à gauche comme à droite. Des dispositions, fortes en apparence, ont effectivement été prises. Le mal-logement sous toutes ses formes était sur le point de disparaître. Pensait-on.
Aujourd’hui, ne reste plus qu’un silence glacial. Les dirigeants se sont succédé, les plans et promesses aussi. L’indifférence a triomphé. La silhouette de l’Abbé Pierre derrière laquelle cheminaient des millions de nos concitoyens a sombré dans l’oubli. Non seulement la situation ne s’est guère améliorée depuis 2007, mais plus que jamais tous les indicateurs du logement sont au rouge. Et pas seulement pour les plus pauvres. Mais qui s’en soucie ?
Le plus grave pourrait bien être l’incapacité de notre système politique à changer face aux drames humains. En 1954, il avait suffi d’un appel sur les ondes de Radio-Luxembourg pour déclencher une vague inouïe de dons et de soutiens. A la mort de l’Abbé Pierre, tous à nouveau se retrouvaient. C’était l’époque où d’actifs militants faisaient la Une des journaux, suite à telle ou telle action de protestation contre l’inadmissible. Mais aujourd’hui ?
La politique du logement ne pourra plus compter sur des plans étatiques centralisés, même mus par de fort bonnes intentions. Sur d’épais dossiers ministériels esquissant des tableaux comptables grandioses pour dans vingt ans. La politique du logement devra se faire par la base. Etre imposée par les citoyens, tous les citoyens. Etre élaborée dans le cadre de procédures participatives et locales. Mobiliser utilement les immenses ressources qui jusqu’à présent vont en pure perte, ces décennies de son travail que chaque Français perd pour ce qui devrait être une évidence, le fait d’avoir un toit.
Faute de quoi, nous cueillerons toujours davantage les fruits de notre inaction. Et porterons nous-mêmes le fardeau de l’exclusion que nous avons cru pouvoir rejeter sur les autres. Ce n’est qu’au prix d’une révolution démocratique dans le domaine du logement que, comme le disait l’Abbé Pierre, les hommes broyés pourront devenir le carburant social d’un avenir partagé.